L’école, le pilote et le crash
L’école, le pilote et le crash
Sandrine Breithaupt, février 2010
sandrine.breithaupt@bluewin.ch
L’histoire de Charly débute en ce beau jour du mois d’août 1998, jour de sa première rentrée scolaire. Charly est très fier de pouvoir apporter à l’école le petit avion, modèle réduit du vrai qu’il a pris cet été dernier pour se rendre au Canada. Il va le montrer à sa maîtresse et lui dire que plus tard, quand il sera grand, il sera pilote et qu’il sera assis dans un cockpit comme celui qu’il a pu visiter. Charly se réjouit. Enfin il est assez grand pour aller à l’école, comme son frère.
En 2002, alors que Charly est en deuxième primaire, il passe ses premières épreuves cantonales. Il sait lire maintenant, même si cela n’a pas été sans peine. Heureusement, ses parents, attentifs, l’ont aidé ; il a même reçu l’appui d’une étudiante. Bref, Charly, sur ce coup, s’en sort plutôt bien et entre en troisième primaire.
La journée de Charly est bien remplie : 8h-11.30h. école, 11.30h-13.30h cantine, 13.30-16h. école, 16h-18h. parascolaire. Il est un peu fatigué et éprouve des difficultés à s’organiser. Lorsqu’enfin il arrive à la maison, il doit encore faire ses devoirs. Il n’a pas franchement envie, mais sa mère insiste pour qu’il révise son vocabulaire d’allemand. Comme il y a un contrôle hebdomadaire des mots, il les relit. Charly n’aime plus vraiment l’école et c’est pour faire plaisir à ses parents qu’il s’y rend.
En 2004, en quatrième primaire, Charly passe à nouveau des épreuves cantonales. Ses résultats sont moyens. Il est désordonné et trop peu motivé. Sur conseil de l’enseignant, Charly va faire un bilan psychologique. Rien d’anormal, alors, ses parents lui offrent deux cours d’appui par semaine ; pour l’aider à réviser et à apprendre son vocabulaire, sa conjugaison, ses mots, ses livrets. Charly n’a franchement plus du tout envie d’aller à l’école et trouve de multiples stratégies pour éviter de devoir apprendre et apprendre encore ; il ne comprend pas à quoi cela va bien pouvoir lui servir. Son rêve de pilote est déjà loin.
Charly passe en cinquième, puis en sixième par dérogation confronté à nouveaux aux épreuves cantonales et aux tests psychologiques. La maîtresse se fait beaucoup de soucis pour l’avenir de son élève et l’indique à plusieurs reprises aux parents de Charly. D’ailleurs, elle évoque les difficultés de l’enfant au directeur du cycle d’orientation, qu’elle rencontre en février, puis en juin. Charly n’en peut plus. Il en a vraiment marre et voudrait que cela s’arrête. Alors, la plupart du temps, il s’évade dans son monde, créé juste à sa mesure, pour rêver quand l’école l’ennuie.
Au mois de juin de cette année-là, le verdict tombe : En math, Charly obtient un 4, en français, il obtient un 3. Ses parents sont paniqués, car ils savent qu’il ne pourra intégrer les structures élites, celles qui ouvrent le sésame du choix, de la liberté, de la sécurité financière, des études. Ils luttent pour obtenir un passage par dérogation. Mais… la titulaire, elle, pense que Charly sera mieux dans un second regroupement. Elle explique que Charly a déjà passé deux fois par dérogation, en cinquième et en sixième, que de toute manière, dans cette deuxième filière, ce sont les mêmes objectifs qui sont poursuivis et que l’exigence est la même que pour les élèves du premier regroupement, que si Charly obtient de bonnes notes, il pourra les rejoindre, dans le courant de l’année ou à la fin de sa 7ème qui sait ? Les parents de Charly se demandent alors bien pourquoi il y a deux regroupements distincts, mais se résignent et acceptent le sors de leur fils.
Charly, enfant discret, adolescent discret, se fait oublier et petit à petit des professeurs qui sont très préoccupés par Pierrot, agitateur, bagarreur, violent parfois. Mais les difficultés de Charly, qui ne sait toujours pas s’organiser, qui oublie ses livres, sa trousse, qui oublie de noter ses devoirs dans son agenda, vont en grandissant. Il croule sous son travail et ne peut gérer toutes les nouveautés. Les résultats de Charly ne sont pas suffisants pour qu’il puisse rejoindre une filière plus prestigieuse.
En fin de neuvième année, Charly voudrait trouver un apprentissage dans l’informatique. Ca lui plaît l’informatique, les blogs, la téléphonie mobile, les gadgets électroniques. Bien qu’ayant effectué trois stages, la réponse est invariablement négative. Son niveau d’allemand n’est pas suffisant (il était pourtant inscrit en niveau fort dans cette branche), sa note en math. est inférieure aux exigences. Charly passe alors des tests pour entrer à l’école de Commerce. Mais il échoue. Les tests n’ont jamais été son fort. Charly est « invité à réajuster son projet ». Alors, au terme de cette scolarité obligatoire, ses tentatives d’orientation ayant échoués, il se retrouve comme la majorité de sa promotion, sans la moindre idée de ce qu’il voudrait faire de sa vie. Par dépit, il entre à l’école de culture générale. Il ne s’y sent pas très à l’aise et sa motivation est au plus bas. Charly n’a pas les notes pour passer en deuxième année. Comme il n’est pas majeur et que ses parents ne veulent pas qu’il arrête l’école, il redouble. Il a alors 17 ans.
Cependant, dès sa majorité, c’est décidé, Charly s’en ira. Il trouvera des petits boulots à gauche à droite, dit-il, pour rassurer sa famille. Mais nous l’imaginons bien, Charly va galérer quelques années, se trouver au chômage, peut-être à l’hospice. Il finira par trouver une place d’apprentissage dans la construction. Ce n’était pas du tout ce qu’il voulait, mais voilà, Charly n’a plus le choix et c’est décidé, cette fois, il tentera d’aller au bout comme il dira. Vers l’âge de 25 ans, pour son mariage, Charly met enfin de l’ordre dans ses affaires. Il y trouve un petit avion, légèrement rouillé et se souvient de sa première rentrée, celle où les rêves étaient permis.