L’école inversée

Une nouvelle d’anticipation
par Christian Blanvillain (juin 2017)

Imagine l’école virtuelle de demain, adaptée à la génération Z[1].

10 juin 2027. Plus de murs, plus de profs, que des élèves ou plutôt dans mon cas des adultes en formation, qui se retrouvent de temps en temps pour apprendre ensemble. L’enseignant est virtuel : il est dans ton smartphone et te donne des missions. Chaque jour il organise des rencontres dans la ville, un musée, une bibliothèque, une salle de co-working[2] dans un café, mais il est rarement là : il n’y a que d’autres élèves comme toi… Le seul jour où tu le rencontres plus de 10mn c’est le jour où tu valides ta formation en présentant tes travaux et ou le jury te décerne le diplôme.

Le diplôme ! C’est le seul reliquat incontournable du passé : à l’époque où il fallait se lever tous les jours à la même heure pour aller se rendormir sur les bancs de l’école pendant qu’un prof faisait son show en t’assommant à coup de power poing (PowerPoint qu’ils disaient). Mais pourquoi il a fallu attendre aussi longtemps pour que l’éducation nouvelle, celle qui a été inventée au début du siècle dernier[3], transforme enfin l’école ? Au fait, c’était quoi le déclencheur ?

Tout a commencé avec des tablettes[4] je crois. Oui, c’est bien ça. On a “inversé” les classes[5] : on travaillait à la maison et ne venait plus qu’en classe pour montrer aux autres ce qu’on avait fait. Puis un jour on a même plus eu besoin de venir en classe. C’est vrai que 80 millions pour construire une école[6] capable d’accueillir 1000 étudiants avec 15% d’échecs chaque année, c’est quand même beaucoup d’argent par rapport à une app à 2 balles qui te donne accès aux mêmes cours, fait par les mêmes profs, mais en mieux car c’est toi qui choisis ce que tu as besoin d‘apprendre et tu le fais à ton rythme !

Alors c’est vrai que leur application, le Zuludesk[7] était bien faite. Ça utilisait toutes les possibilités du smartphone : une espèce de méta-application qui pilotait les autres et qui te permettait d’aller piocher les ressources produites par les apps à disposition pour construire ton e-portfolio dans Realto[8] (une autre app). C’était sympa, mais fallait quand même retourner à l’école pour faire les exercices. Tu pouvais apprendre à la maison et montrer ce que tu avais compris en classe. Le prof était juste là pour t’aider si tu n’arrivais pas à faire un exercice.

Puis il y a eu cette mise à jour qui a tout changé. La clef ça a été l’évaluation. Avec le module ForEva tu n’avais plus besoin du prof pour te corriger : c’est l’application qui analysait tes faiblesses et en te proposait d’autres missions adaptées à ton niveau mais avec à chaque fois un petit challenge en plus. Du coup on venait en classe, mais le prof lui n’était plus là. Il bossait de chez lui, en préparant ces parcours de formation qu’il uploadait dans l’application pour nous faire apprendre. On venait juste pour s’entre-aider et discuter avec les autres élèves[9].

Un jour on est venu à l’école et c’était fermé. Il y avait un QR-code sur la porte qui te renvoyait sur un site de l’état qui expliquait que maintenant c’était l’école qui s’inversait également, et que c’était dans la ville qu’on allait apprendre, directement. Ils appelaient ça l’éducation holistique[10] dans laquelle les projets décloisonnent[11] les matières… Maintenant que j’y pense : comment pouvait-il en être autrement avant ? Tous ces savoirs artificiels, ces exercices scolaires dénudés de sens et de concret, séparés des projets authentiques : quelle horreur ! Aujourd’hui on construit du vrai, de l’utile !

 

Moi j’apprenais l’informatique à l’époque et le prof nous avait envoyé chez Swisscom pour passer quelques jours à visiter comment les gens travaillaient. C’était sympa les cours comme ça : on était directement en contact avec le métier. Une fois ou deux par mois on passait deux ou trois jours dans une entreprise différente, ou on se retrouvait avec les autres élèves et ou on avait des missions à remplir. Chez Swisscom[12] je me souviens, nous avions dû auditer les gens de la hotline pour comprendre comment marche leur réseau et ensuite aller chez les clients qui n’étaient pas technophiles pour les rassurer et les aider : une sorte de mini-stage en entreprise professionnelle. Je n’avais rien compris au début. Le prof nous avait juste accueilli à l’entrée du bâtiment et puis il était parti… On s’est retrouvé entre nous avec tous la même question : “On fait quoi ?”, puis le téléphone s’est mis à vibrer et on a tous reçu une mission différente : il fallait auditer certains services pour pouvoir saisir les réponses dans ForEva[13] et comme c’était impossible de savoir quoi répondre en regardant les morceaux de phrases proposés, il fallait assembler les éléments d’informations découvert par les autres pour pouvoir fabriquer la réponse. On était obligé de partir en enquête dans l’entreprise puis se retrouver pour s’expliquer ce qui nous manquait.

Après la première journée je m’étais fait deux nouveaux amis. On s’était retrouvé à la hotline avec les mêmes jeux de questions probablement parce qu’on avait tous déjà travaillé en entreprise avant de reprendre les “cours” ? Bref, c’était vraiment bien car tous ensemble on a fini par comprendre ce qu’il fallait faire et quand on a publié nos hypothèses dans ForEva ça nous a décerné la médaille d’or de la semaine pour le groupe ayant fait preuve de la meilleure entraide !

C’est ainsi que tout a commencé. Quand je raconte ça aux jeunes et que je leur parle des power coup de poing assommant, heu… des PowerPoint, j’ai l’air d’un dinosaure… Mais bon, là je viens de terminer de construire une nouvelle mission dans ForEva pour faire apprendre comment changer l’écran du dernier smartphone en appliquant les principes auto-socio-constructivistes avec lesquels j’ai moi-même appris. Et si j’obtiens beaucoup de like, ça va me permettre d’enrichir mon e-portfolio et je pourrais faire valider mes compétences pédagogiques et finaliser ma formation d’enseignant. C’est cool, je vais enfin pouvoir devenir moi aussi un cyber-prof : c’est le troisième job que je valide cette année 🙂

…… 

[1] Emmanuelle Duez – https://www.youtube.com/watch?v=1_uz83K7C_U

[2] Impact Hub – https://www.shareoffice.ch/office/geneve-impact-hub

[3] Francisco Ferrer – https://fr.wikipedia.org/wiki/Escuela_moderna

[4] Enjeux actuels et futurs de la formation et de la profession enseignante
– http://2017.sommetipad.ca/files/ColloqueCRIFPE-SommetIPAD_Programme-2017.pdf

[5] Classe inversée – http://www.classeinversee.com/presentation/

[6] École de commerce Raymond-Uldry – https://www.lecourrier.ch/139671/une_nouvelle_ecole_de_commerce_a_geneve

[7] ZuluDesk – https://zuludesk.com/fr/

[8] Realto – http://dualt.epfl.ch/page-121584-fr.html

[9] Approche sociocritique du numérique en éducation
– https://www.usherbrooke.ca/gnec/pj/programme_colloque_mai_15_et_16_2017.pdf

[10] UNESCO vision holistique de l’éducation – http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001838/183841f.pdf

[11] Edgar Morin – https://www.cairn.info/revue-societes-2004-4-page-99.htm

[12] Swisscom Nerd – https://www.swisscom.ch/fr/chroniques/travail/swisscom-friends-visite-d-un-nerd.html

[13] ForEva, Université de Provence – http://foreva.free.fr/salon/systemeforeva/